Edith Piaf
Artiste : Edith Piaf
Le 11 Octobre 63, alors que j'étais dans un train en direction de Bordeaux, j'apprends par la radio la mort d'Édith Piaf. Aussitôt, je décide de monter à Paris où je me rends au Bd Lane, chez Édith. Je venais de comprendre ce jour-là que même ceux qui font indissolublement partie de notre quotidien, même ceux-là meurent un jour. Je vous passe sous silence la folie de l'enterrement d'Édith au Père Lachaise. Je préfère garder le souvenir ébloui des centaines de milliers de gens, hommes, femmes, enfants, debouts qui pleuraient en silence au passage du cortège. Une telle émotion ne s'était pas produite en France depuis la mort de Victor Hugo. Merci Édith.
Voici un texte de Jean Cocteau sur sa grande amie Edith Piaf. C'est en apprenant la mort de Piaf que Cocteau a été victime d'une crise cardiaque qui l'a emporté quelques heures après elle.
Regardez cette petite personne dont les mains sont celles du lézard des ruines. regardez son front de Bonaparte, ses yeux d'aveugle qui vient de retrouver la vue. Comment chantera-t-elle, Comment s'exprimera-t-elle ? Comment sortira-t-elle de sa poitrine étroite les grandes plaintes de la nuit? Et voici qu'elle chante, ou plutôt qu'à la mode du rossignol d'avril elle essaye son chant d'amour.
Avez-vous entendu ce travail de rossignol? Il peine. Il hésite. Il râcle. Il s'étrangle. Il s'élance et il roucoule. Et soudain il trouve. Il vocalise. Il bouleverse.
Très vite, Edith Piaf qui tâte son public a trouvé son chant. Et volià qu'une voix qui sort des entrailles, une voix qui l'habite des pieds à la tête, déroule une haute vague de velours noir. Cette vague chaude nous submerge, nous traverse, pénètre en nous. Le tour est joué. Edith Piaf, comme le rossignol invisible, installé sur sa branche, va devenir elle-même invisible. Il ne restera plus d'elle que son regard, ses mains pâles, ce front de cire qui accroche la lumière et cette voix qui gonfle, qui monte, qui peu à peu se substitue à elle, et qui, grandissant comme son ombre sur le mur, remplacera glorieusement cette petite fille timide. De cette minute le génie de Mme edith Piaf devient visible et chacun le constate. elle se dépasse, elle dépasse ses chansons, elle en dépasse la musique et les paroles. Elle nous dépasse. L'âme de la rue s'adresse aux immeubles qui la bordent. L'âme de la rue pénètre dans toutes les chambres de la ville. Ce n'est plus Mme edith Piaf qui chante; c'est la pluie qui tombe, c'est le vent qui souffle, c'est le clair de la lune qui met sa nappe.
La bouche d'ombre. Le terme a l'air d'avoir été inventé pour cette bouche oraculeuse.
Note : 10/10
Publié dans Ma nourriture terrestre ... ____ Pas vrai Gide ? | Lien permanent